Delphine de Vigan_© Francesca Mantovani - Editions Gallimard
Delphine de Vigan
Écrivaine
Lycée Napoléon, L'Aigle (61)
16 avril 2024
On ne raconte pas la Vérité, on raconte une vérité : la nôtre.

80 élèves/ 2nde, 1ère et Bac pro / 2 professeures de lettres modernes

L’écrivaine Delphine de Vigan a accepté avec émotion notre invitation à venir échanger avec plus de 80 lycéens dans son ancien établissement, le lycée Napoléon à L’Aigle dans l’Orne. Des élèves de différents niveaux, notamment de Seconde, de Première et des filières professionnelles, ont pris part à cette rencontre, préparée en amont par les jeunes sous la supervision de leurs professeurs, autour de plusieurs œuvres comme « No et Moi » ou « D’après une histoire vraie« . Delphine de Vigan a évoqué avec les élèves son expérience d’écrivaine, son métier de manière concrète et permis aux jeunes de se plonger dans les coulisses de la conception d’un livre, de ses prémices à sa diffusion.

Ce retour aux sources a offert à Delphine de Vigan l’occasion de redécouvrir les lieux de son adolescence dans lesquels elle a retrouvé certains repères, malgré les changements significatifs dans l’établissement. Après avoir déjeuné à la cantine, inchangée contrairement au reste du lycée, et revisité les lieux, l’autrice a été reçue dans le grand CDI, où les lycéens l’attendaient avec impatience.

Delphine de Vigan a commencé la rencontre en se remémorant son passage au lycée et est rapidement revenue sur son parcours avant de laisser la parole aux élèves, curieux d’en savoir plus sur l’écrivaine. En premier lieu, l’autrice est revenue sur la dimension émotionnelle forte de ce retour dans les couloirs de son ancien lycée, dans lequel elle a forgé son identité adolescente et passé son baccalauréat en 1983. Ce retour était d’autant plus imprégné de nostalgie que les visites dans cette ville symbole de ses jeunes années sont rares, la dernière remontant à une dédicace dans la librairie de son amie d’enfance.

Très vite, les mains ont commencé à se lever et les questions se sont enchaînées, sur le parcours de l’écrivaine, ses sources d’inspiration, le processus de création d’un livre, ou encore le rapport de l’autrice à ses œuvres. Et c’est dans la suite logique de sa présentation que les premières interrogations concernèrent ses études et la période post lycée.

Après ses années de lycée, Delphine de Vigan a raconté avoir pris la route de Paris pour poursuivre ses études. Après avoir suivi une classe préparatoire littéraire khâgne hypokhâgne, elle est partie en DUT publicité avant de plonger dans le monde de l’entreprise. Ce n’est qu’après avoir travaillé pendant presque 20 ans en entreprise qu’elle a finalement embrassé pleinement sa vocation d’écrivaine. Elle a d’ailleurs confié aux élèves que ses premiers romans ont été écrits dans les interstices de son emploi du temps chargé, jonglant entre le travail de jour et l’écriture la nuit. Ce n’est qu’à partir de son quatrième ouvrage qu’elle a pu se consacrer exclusivement à l’écriture et quitter le milieu « traditionnel » de l’emploi, et par conséquent, son statut d’employée. Depuis ce tournant majeur, Delphine de Vigan a publié une dizaine de romans et écrit plusieurs scénarios pour des oeuvres audiovisuelles.

« Comment devient-on écrivain ? » a ensuite demandé une élève. Delphine de Vigan a partagé son propre parcours en soulignant le défi principal de l’auteur : celui de se faire publier et de vivre pleinement de ce métier. Pour répondre à la question, l’artiste a remonté le fil de sa vie afin d’illustrer un des parcours possibles pour devenir écrivain. Malgré une passion de longue date pour l’écriture, elle n’avait jamais envisagé sérieusement une carrière dans ce domaine. Jusqu’au jour où une impulsion soudaine l’a poussée à envoyer son premier manuscrit par la poste à plusieurs éditeurs, avec des résultats mitigés. Parmi les réponses négatives, quelques encouragements ont émergé, l’incitant à explorer davantage ses écrits et son talent pour raconter des histoires. C’est ainsi qu’elle se lança très rapidement dans l’écriture de son deuxième manuscrit, « Jour sans fin« , qu’elle a envoyé aux éditions dont elle avait reçu le soutien précédemment. Ce deuxième essai a été accueilli avec enthousiasme par plusieurs maisons d’édition, marquant le début de son aventure artistique.

L’autrice en a profité pour rebondir sur les différentes voies qui peuvent mener à la publication d’un roman, sans cacher aux élèves qu’il ne s’agit pas toujours d’une tâche simple. Lors de l’envoi d’un manuscrit, celui-ci doit passer la première étape cruciale des services de lecture.

Une fois cette première étape franchie avec succès, vient alors tout le travail de réécriture en fonction des retours des éditeurs, puis la mise en page du livre, son impression et plus tard, sa diffusion. C’est également avec une grande honnêteté qu’elle a souligné l’importance des réseaux professionnels dans un milieu où les contacts peuvent parfois faciliter le circuit, l’acceptation d’une œuvre et sa publication dans une maison d’édition.

« Vivre de sa plume est-il simple ? » a demandé un élève. Delphine de Vigan a reconnu que bien qu’elle puisse vivre de son écriture, le statut d’écrivain est tout sauf stable. Ce statut d’auteur n’octroie ni salaire fixe, ni sécurité de l’emploi, avouant que la vie d’écrivain est souvent précaire. Elle a rappelé que seuls quelques auteurs parviennent à vivre entièrement de leur passion, soulignant que l’écriture est avant tout une question de passion et de nécessité plutôt qu’une question d’argent.

A ensuite été posée une question concernant ses sources d’inspiration pour l’écriture de ses livres. L’autrice a alors expliqué aux lycéens qu’elle puise dans ses propres expériences ainsi que dans les histoires de son entourage. Par exemple, son célèbre roman « No et moi » tire son essence des observations de la vie quotidienne à Paris, notamment d’un regard échangé avec deux femmes ayant passé la nuit dans la rue. Cette expérience poussa alors l’artiste à se questionner sur les chemins de vies qui pouvaient mener des femmes dans de telles situations de précarité. Elle a également partagé sa vision de l’inspiration, soulignant que ce sont souvent les images les plus percutantes qui suscitent son désir d’écrire : « Souvent pour l’inspiration, je ne fais pas de choix. Ce sont des images qui me heurtent ».

Enfin, l’artiste a été questionnée sur la manière dont naît un livre, de l’idéation à la proposition du manuscrit auprès des maisons d’édition. 

Delphine de Vigan a dévoilé les coulisses de son processus créatif, qui commence par une période d’incubation – période intense de recherches et d’apprentissages sur les thématiques et sujets que l’artiste souhaite aborder dans ses livres – suivie d’une discipline stricte d’écriture. Elle a insisté sur l’importance de trouver son propre rythme biologique pour écrire et palier aux défis quotidiens : « Écrire, c’est une activité qui est très solitaire, c’est à moi de me discipliner pour me mettre au travail tous les jours ». En moyenne, un livre prend environ deux ans à voir le jour, de l’idée initiale à la publication finale.

Pour conclure ce riche échange, Delphine de Vigan est revenue sur ses succès et ses échecs, soulignant les hauts et les bas de sa carrière d’écrivaine, moments inévitables pour tous artistes, quel que soit le domaine. L’écrivaine a donc insisté sur l’importance de la résilience et de la persévérance dans la pratique de son art face aux obstacles rencontrés sur son chemin. Une conclusion pleine d’espoir, à l’image de cette rencontre profondément humaine, et dont les élèves sont sortis ravis.

Presse

Ouest France – 17 avril 2024