Baya Kasmi
Scénariste et réalisatrice
Collège Vauquelin & Lycée Joséphine Baker, Toulouse (31)
13-15 Nov.
« Les gens qui réussissent, ce sont ceux qui se sont autorisés à essayer et ce sont ceux qui ne lâchent pas l'affaire. »
Au lycée : 110 élèves dont deux classes de seconde, ainsi que les seconde, première et terminale de l’option cinéma-audiovisuel, encadrées par deux professeures de français, deux professeurs d’histoire géo et une professeure documentaliste
Au collège : 60 élèves de Troisième accompagnés par une professeure documentaliste, un professeur d’Histoire-géo et un professeur de français

 

Baya Kasmi, qui connaissait déjà le dispositif Un Artiste à l’École auquel elle « rêvait de participer », a donc évidemment répondu avec enthousiasme à notre invitation, et souhaité retourner dans deux de ses anciens établissements scolaires du quartier du Mirail à Toulouse pour y rencontrer les élèves. 

Entre deux avant-premières de son prochain film Mikado, en salles le 05 février 2025, la réalisatrice et scénariste a enchaîné les interventions, une dans son ancien lycée, le Lycée du Mirail, désormais renommé Joséphine Baker et une autre dans son ancien collège, le collège Vauquelin.

Affiche du film Mikado en salle le 05 février 2025
Baya Kasmi devant le Lycée Joséphine Baker

Bien accueillie par l’équipe pédagogique et les lycéens, impatients de la rencontrer, Baya Kasmi a ouvert la séance au Lycée Joséphine Baker en évoquant son attachement pour le quartier du Mirail et l’établissement dans lequel elle a été scolarisée. Elle est revenue en détail sur son parcours.

Adolescente, Baya exprimait déjà une forte envie de cinéma, sans savoir comment faire pour y arriver. Ce choix de carrière lui paraissait compliqué, venant du Mirail, quartier prioritaire, victime de nombreux préjugés.
Deux événements ont marqué ses années lycée. Tout d’abord, une rencontre avec une équipe de télévision organisée au sein de l’établissement qui l’a grandement fait rêver, lui permettant de matérialiser la création d’images et les métiers techniques. Puis, accompagnée d’autres lycéens, elle a réalisé un film dans le cadre des Rencontres Lycéennes de Vidéo, un festival à Bagnères-de-Bigorre auquel les lycéens de l’option cinéma du lycée participent encore aujourd’hui.

Après son bac, obtenu à la deuxième tentative, elle a suivi une année de fac de droit dans l’idée de passer les concours d’entrée des grandes écoles de cinéma. Mais elle a fini par renoncer à cette voie, ayant échoué au concours, et développé un sentiment d’inaccessibilité. Son rêve pourtant bien en tête, elle s’est mise à travailler dans plusieurs jobs alimentaires dans la restauration rapide et dans de grands magasins.

Baya Kasmi s’est ensuite investie sur le plan associatif, participant notamment à l’organisation d’un festival de court métrage à Toulouse. Dans ce cadre, elle a rencontré différents cinéastes, lui permettant de désacraliser le statut de « réalisateur » et de comprendre qu’ils étaient « des gens comme les autres ».

Suivant son envie de cinéma, Baya a ensuite déménagé à Paris en se disant qu’elle ne redescendrait pas à Toulouse avant d’atteindre son objectif, continuant les boulots alimentaires, tout en naviguant dans l’univers audiovisuel (elle a été standardiste dans une filiale de Canal + et assistante de production).

Elle a commencé sa carrière d’autrice en tant que scénariste, notamment pour la série Cœur Océan, diffusée dans le programme jeunesse KD2A sur France 2. Pour elle, les contraintes scénaristiques que posent les commandes d’épisodes de série de ce type l’ont aidée à désacraliser l’écriture et ont poussé sa créativité. Les retours de ses premiers scénarios étaient difficiles à entendre, mais Baya a souligné l’importance des commentaires, négatifs ou positifs, car ils permettent de voir ce qu’a compris l’autre et ce que l’on a réussi à transmettre ou non. « Rien n’est inné », a-t-elle exprimé, « il faut essayer et ne pas se décourager ».

Baya Kasmi a beaucoup écrit de scénarios pour la télévision et, en parallèle, avec son compagnon de l’époque, le réalisateur Michel Leclerc, elle a écrit son premier film, Le Nom des gens, remportant le César du meilleur scénario en 2011. Ce film représente une étape primordiale dans son parcours. Interrogée par une élève sur l’impact de ce César sur sa carrière, Baya a répondu qu’évidemment, cette récompense lui a donné de la légitimité et a représenté une clé d’entrée dans le milieu du cinéma, lui donnant davantage confiance. Elle a évoqué le fait que, dans ce métier, on est constamment jugé et évalué et on se remet toujours en question.

Rencontre avec les élèves du Lycée Joséphine Baker à Toulouse

Lors de cette rencontre avec les lycéens, Baya Kasmi a insisté sur l’importance d’avoir confiance en soi, ce qui est parfois difficile malgré l’envie et la passion. Elle est partisane du “Fake it until you make it”, car avoir confiance prend du temps et le bluff, le fait de faire semblant d’avoir confiance en soi, aide à se persuader de sa potentielle réussite. Selon la réalisatrice, pour le premier film que l’on fait, il faut donner l’impression que l’on est sûr de soi pour y arriver, pour que les autres vous fassent confiance. La question du doute est centrale, mais, dans le fond, on est en combat avec soi-même et « si on commence à être obsédé par qui est mieux à côté, on perd beaucoup d’énergie ».

Par la suite, Baya a continué à écrire avec Michel Leclerc et a également travaillé avec Thomas Lilti sur ses films Hippocrate et Médecin de campagne. Avec ces deux réalisateurs, elle sentait qu’elle partageait une vision commune.

Son passage par le métier de scénariste a contribué à la rapprocher de la réalisation, ce qui l’a toujours intéressée. Baya a mentionné les difficultés qu’elle a rencontrées en réalisant son premier court métrage, J’aurais pu être une pute, que les élèves ont eu l’occasion de voir. Elle explique qu’elle est passée par la comédie pour raconter son histoire personnelle et difficile. Le mélange de registres l’intéresse particulièrement, permettant d’alléger des sujets lourds. La comédie permet de jouer avec la gêne de ce qu’on a le droit de dire ou non.

Avec son dernier film Mikado, la réalisatrice a eu l’impression de passer un cap, de ne pas devoir se battre pour se faire écouter, d’avoir trouvé les bonnes personnes avec qui travailler. Elle a souligné qu’il fallait respecter et comprendre son équipe et les techniciens qui exercent un métier difficile, physique, aux horaires intenses. Pour la réalisatrice, un tournage qui se passe mal peut être un moment terrible à vivre, mais, lorsqu’il se passe bien, c’est une expérience unique et intense.

« Être sur un plateau, c’est la vie, c’est la joie ! Des moments de vie extraordinaires ! »

Au niveau du travail d’écriture, Baya Kasmi précise qu’il ne faut pas essayer de délivrer un message de façon simpliste, ce qui revient à enfoncer une porte ouverte. Il est plus intéressant d’exprimer une injustice, une colère, et de s’interroger sur tous les aspects d’un sujet. « Un bon antagoniste, c’est un antagoniste que tu valides », dans la peau duquel tu finis par rentrer. 

Questionnée sur ses inspirations, Baya Kasmi a cité plusieurs réalisateurs : Scorsese, Truffaut, Hitchcock, Vinterberg dont le film Festen l’a particulièrement marquée à 19 ans. « Les influences, on ne cesse d’en avoir », a précisé la réalisatrice, ajoutant qu’on peut faire des films personnels tout en s’inspirant des autres.

Une élève l’a interrogée sur l’influence d’être une femme sur son cinéma. Baya Kasmi a répondu que l’intégralité de son histoire personnelle a influencé sa perception et sa création : le fait d’être une femme, issue d’un quartier, ne venant pas de Paris…

Généreuse en anecdotes à l’attention des élèves, elle a été questionnée sur sa relation avec Ramzy Bedia, acteur avec lequel elle collabore depuis plusieurs années et qui, a-t-elle précisé, est toujours partant pour les projets qu’elle lui propose. Ce qu’elle aime chez lui, c’est sa force comique, tout n’ayant jamais peur d’aller chercher le dramatique.

Echange avec les élèves du Lycée Joséphine Baker à Toulouse

Interrogée sur l’impact de la vraie vie sur son écriture, Baya Kasmi a précisé qu’elle s’inspirait toujours de la réalité, qu’elle avait souvent en tête quelqu’un qu’elle connaissait lorsqu’elle écrivait un personnage. Le cinéma est une manière de capturer et garder un élément du réel. « Je fais aussi des films parce que j’ai l’impression que la réalité disparaît », a souligné la réalisatrice.

« Quand on imagine des réalisateurs, on peut avoir tendance à les voir comme des gens au-dessus, à part, et le fait qu’elle vienne témoigner de son parcours, en particulier son parcours scolaire, ça redonne confiance car on se dit qu’on peut faire pareil, c’est inspirant. » Mark-Antoine, élève de première
« Cet échange est une formidable occasion d’ouvrir des possibles par la découverte du parcours et de l’univers artistique de la réalisatrice et scénariste Baya Kasmi. En effet, ses thématiques sociales résonnent fortement pour nos élèves. En partageant un bout d’histoire commune, qui s’est joué dans leur lycée, cette rencontre permettra sans nul doute aux élèves de tisser un lien privilégié avec une artiste. » Nathalie Olive, professeure documentaliste – Lycée Joséphine Baker

Lors de sa rencontre au Collège Vauquelin, Baya Kasmi est également revenue sur les grandes étapes de son parcours.

Pour la réalisatrice, « le monde du cinéma s’ouvre de plus en plus à la mixité ». Plus de gens issus de quartiers réussissent dans ce secteur, le milieu se démocratise. Il y a également de plus en plus d’écoles accessibles sans bac ou sans conditions préalables. Maintenant, elle enseigne d’ailleurs dans ces écoles de cinéma qu’elle ne s’imaginait jamais intégrer plus jeune.

Sur ce sujet, elle précise s’être rendue compte qu’il y avait parfois une forme de discrimination positive. Le fait d’avoir un parcours différent, de ne pas avoir fait de grande école l’a finalement aidée sur certains plans. L’important, c’est d’être intuitif. Il y a d’autres voies que les grandes écoles de cinéma qui mènent à ce milieu. Baya a évoqué la diversité des métiers du cinéma, des techniciens aux producteurs et distributeurs.

 

Echange avec les élèves du Collège Vauquelin à Toulouse

Interrogée sur le casting et la recherche d’acteurs, la réalisatrice a souligné l’importance des acteurs pour monter des films et trouver du financement. Au début de sa carrière, il lui était plus compliqué de convaincre les acteurs qu’elle voulait dans ses films, mais maintenant, elle a trouvé des collaborateurs fétiches comme Ramzy Bedia et Vimala Pons. Pour les castings de ses films, elle aime faire un mélange entre acteurs de théâtre, acteurs de cinéma et humoristes. Baya s’est souvenue des acteurs qui l’ont marquée durant sa carrière, notamment Jean-Pierre Bacri et Agnès Jaoui avec qui elle a joué.  

Elle a également évoqué la précarité du métier de réalisatrice et l’incertitude financière qui en découle. Généralement, un réalisateur gagne une somme d’argent pour un projet et doit apprendre à gérer ses dépenses sur le long terme. 

Sur ses influences et les films qu’elle aime, elle a conseillé aux collégiens Forrest Gump et Retour vers le futur de Robert Zemeckis, The Thing de John Carpenter, les films de Sidney Lumet et, plus récemment, Le Règne animal de Thomas Cailley. Sur Mikado, son dernier film, elle a été inspirée par Un monde parfait de Clint Eastwood et L’Effrontée de Claude Miller.

« Moi j’aime le monde du cinéma, être actrice serait un rêve et ça donne beaucoup d’espoir. » Gwenn, élève de troisième

Les deux rencontres se sont terminées par de nombreuses discussions entre Baya Kasmi et les élèves, émus et touchés par cette artiste qui leur ressemble tant.