Alain Ughetto
Réalisateur, scénariste
Lycée Félix Esclangon, Manosque (04)
23 nov. 2023

250 élèves
Tous les niveaux

Le réalisateur Alain Ughetto est retourné à Manosque pour rencontrer les élèves de son ancien lycée Félix Esclangon. Après une projection en salle de son film Interdit aux chiens et aux italiens, l’artiste a échangé avec 280 élèves, répondant à leur nombreuses questions sur son travail, ses méthodes, la durée de fabrication du film et ses sources d’inspiration. L’artiste a ensuite rencontré en plus petit comité les élèves de la section cinéma-audiovisuel puis les élèves en option italien pour une discussion plus technique autour de son travail, pour terminer la journée avec les élèves de l’option musique qui avaient préparé une surprise pour le réalisateur.

L’artiste a d’abord évoqué son parcours, comme « une boule de neige qui s’enrichit », et le fait qu’il a attendu d’être à la retraite pour réaliser le film Interdit aux chiens et aux Italiens. Élève peu intéressé par les cours, il passait son temps au fond de la classe. L’image et la réalisation l’ont toujours beaucoup intéressé. Il a pu réaliser un premier film grâce au soutien du GREC, un film réalisé « dans sa chambre » avec de la pâte à modeler. Ne vivant pas de ses films, Alain Ughetto a d’abord travaillé comme reporter d’images, puis il a fait du documentaire pour France3.

Alain Ughetto est ensuite revenu en détails sur les 9 années de travail qui ont précédé la sortie de son film ; les deux années d’écriture, le choix du stop motion en lien direct avec la notion d’artisanat qu’il lui semblait important de préserver dans le processus de création. Quant à la source de son inspiration, Alain Ughetto a évoqué la lecture d’un livre de témoignages qui a déclenché l’envie de faire le film, la découverte de ce livre ayant été un « véritable cadeau » de vie a-t-il expliqué. Le réalisateur a longuement évoqué ses racines, sa grand-mère avec laquelle il avait, a-t-il dit, l’impression de parler tout au long de la création. Il a amorcé son travail d’écriture sur le film par beaucoup de recherches de témoignages sur l’Italie. Les échanges avec ses cousins dont les souvenirs étaient complémentaires (et d’où il sort plusieurs scènes du film). Le film, a-t-il expliqué aux élèves, couvre en réalité 180 ans d’histoire.   

Questionné par les élèves sur les difficultés rencontrées lors de la réalisation du film, il a tout d’abord parlé de la difficulté de faire financer le film et de rester dans un budget déterminé, et de faire des scènes qui racontent quelque chose, imaginer un récit avec un début, un milieu, une fin. Le plus long dans le processus, a t’il expliqué, était la conception, puis l’écriture notamment pour arriver à dramatiser une histoire réelle.

Le choix du thème et du titre ont été faits pour marquer l’époque, le choix du lieu s’est fait après avoir enquêté sur un village d’Ughetto. Dans un souci d’authenticité et de cohérence, le réalisateur a utilisé les ressources locales :  le charbon, le bois. Faire un film a-t-il dit, c’est gérer une série de problèmes chaque minute, mais avec la satisfaction, le plaisir de travailler avec son équipe et de voir l’histoire prendre vie.

A un jeune qui le questionnait sur son approche du racisme et de l’immigration, Alain Ughetto a répondu que si l’immigration a changé depuis la période évoquée dans le film, l’égoïsme persiste, les gens fuient la misère pour survivre, la même histoire se reproduit. Le réalisateur a évoqué que ce qui l’intéressait à l’écriture du film c’était de traiter de l’immigration sans faire du sensationnel ou montrer des images choquantes, en partant d’un retour sur 3 générations. Son désir était de faire un travail de mémoire, de raconter son histoire, l’histoire de sa famille, de manière sincère, honnête, les photos à la fin du film sont d’ailleurs celles de sa famille. Il s’est ensuite rendu compte que cette histoire était universelle. Interrogé sur le succès du film, le réalisateur avoue avoir été surpris, heureux mais surpris, d’autant plus que le film a marché dans le monde entier, il l’a fait voyager.

Les élèves étaient curieux de détails précis sur les méthodes d’Alain Ughetto, le questionnant beaucoup sur le tournage. Le réalisateur a expliqué en détails le travail de chacun, la cage noire dans laquelle les animateurs ont travaillé autour de tables, l’organisation du plateau, soulignant également l’importance du lien avec le producteur et les coproducteurs (qui font entrer le projet dans une économie). Le film a été très long à fabriquer, il a nécessité 50 000 images et un budget de 3 millions 7, un processus qui a parfois été lourd à porter, soulignant le sentiment de solitude qui parfois s’emparait du réalisateur pourtant très bien entouré. 

Interrogé sur le processus de création, il a évoqué avec les élèves les animatiques, l’enregistrement de la maquette voix puis de la voix off avec les acteurs qui ont donné le tempo du film, puis le long travail des animateurs, nécessitant 9 mois de prises de vue et enfin le travail avec le compositeur Nicola Piovanni, dont il a souligné le talent, qui a accepté d’accompagner le film (et le réalisateur a d’ailleurs précisé qu’il avait souhaité une musique qui accompagnait le film comme sa grand-mère). 

Une élève a souhaité en savoir plus sur la création visuelle des personnages. Le réalisateur a évoqué le souhait que tous aient la même tête : chapeau et moustache pour les Italiens, pas de moustache et béret pour les français. Venu avec deux des marionnettes ayant servi au tournage, il a expliqué que la même poupée était utilisée pour faire plusieurs personnages. 43 marionnettes ont été fabriquées, créées par David Roussel. un technicien spécialisé. Une cheffe costumière a travaillé sur les vêtements, il fallait montrer les rapiéçages pour montrer que les vêtements étaient reprisés. Idem pour les décors. Le réalisateur a souligné l’importance de l’intention ;  venant du documentaire, il a beaucoup travaillé sur ses intentions. Se comparant à Gepetto, il a évoqué le fait d’avoir réuni des professionnels qui venaient de plusieurs pays différents.

Alain Ughetto a évoqué son goût pour le récit, son souhait de raconter une histoire avec des images, de mettre en place un univers particulier. Il a également beaucoup évoqué l’importance du regard, évoquant les grands documentaristes, de Wiseman à Varda et soulignant notamment que le travail du documentaire c’est de retrouver l’émotion. Enfin l’artiste a été interrogé par les élèves sur ses prochains projets, évoquant son futur film, différent, qui devrait être en 3D, autour du témoignage d’une vieille dame italienne qui raconte son enfance.

 

La rencontre entre l’artiste et les élèves s’est étalée sur toute la journée et s’est terminée sur une surprise que les jeunes avaient réservé au réalisateur, interprétant un ciné-concert sur une scène du film d’après une composition originale, puis en chœur le titre ‘Bella ciao ». Un moment qui restera dans les annales par la force de la sincérité dégagée par l’artiste et l’émotion qui a guidé toute la journée.

Presse

La Provence – 24 novembre 2023