140 élèves de la 4ème à la Terminale
C’est avec un enthousiasme non feint que le scénariste, réalisateur et auteur de bandes dessinées Arnaud Malherbe a répondu à la demande de son ancien établissement, l’ensemble scolaire Bignon à Mortagne-au-Perche (61) de s’inscrire dans le cadre du dispositif Un Artiste à l’Ecole et d’y revenir pour échanger avec les élèves. L’établissement a beaucoup compté pour l’auteur qui y a passé toute sa scolarité et qui, avec une émotion certaine, a pu y échanger avec 140 élèves de tous niveaux : une quarantaine d’élèves volontaires de 5ème et 4ème , ainsi qu’une centaine de lycéens de la seconde à la terminale. La rencontre avait été scrupuleusement préparée en amont avec les enseignants qui avaient notamment fait visionner Ogre, le long métrage de l’auteur, à leurs élèves ainsi que fait découvrir sa BD Belleville Story ou encore sa dernière série Rictus. Ce fut l’occasion pour Arnaud Malherbe de partager avec eux son parcours, discuter de son statut d’auteur et des particularités de ses différents métiers, et revenir sur le processus de création d’une œuvre audiovisuelle.
Après une petite visite dans le village Mortagne-au-Perche, Arnaud Malherbe a revisité les lieux de son enfance, notamment l’ancien cinéma, aujourd’hui salle de conférence pour cette rencontre, dans lequel l’artiste a vu ses premiers films comme L’empire contre-attaque dans les années 80, ou encore les premiers Indiana Jones qui ont bercé son adolescence et nourri sa créativité. Il a également poussé les portes de son ancien établissement pour une visite guidée aux côtés du directeur. Cette expérience lui a permis de se replonger dans de nombreux souvenirs, dans des lieux encore préservés du temps, où tables de ping-pong, babyfoots et salle d’arts plastiques n’ont pas bougé. Arnaud Malherbe a ensuite rencontré dans un premier temps les lycéens, suivis des élèves volontaires au niveau collège, tous impatients de faire sa connaissance et de poser leurs nombreuses questions.
Arnaud Malherbe a amorcé la rencontre en évoquant son passé à Mortagne-au-Perche et est revenu sur son lien particulier avec l’école. Fils d’enseignants de l’ensemble scolaire Bignon, il y a réalisé toute sa scolarité, de la primaire jusqu’au bac. Il a également avoué avoir un attachement particulier non seulement à l’école, mais aussi à cette région, l’Orne, dans laquelle il a grandi et où il a construit ses grandes amitiés. Revenant sur son parcours, l’artiste n’a pas eu peur d’employer les termes de « parcours chaotique » et « chemins sinueux » pour retracer son histoire. Il a expliqué aux élèves que son chemin, comme celui de nombreux autres artistes, relèvent d’une accumulation de choix, d’expériences, qui l’ont mené aux métiers de scénariste, réalisateur et auteur de BD. Après sa scolarité à Bignon, il hésitait entre flic et avocat, « probablement à cause de la fiction », nous a-t-il avoué. Il s’est alors dirigé vers des études de droit à Caen, qui ne l’ont pas passionné, avant de redécouvrir une ancienne envie : celle d’être journaliste. Après quelques années d’études de journalisme à Paris et une dizaine d’années passées au sein de rédactions comme Ouest France ou L’Express, Arnaud Malherbe a découvert qu’au fond, ce qu’il aimait, c’était raconter des histoires, et plus que ça : « de fausses histoires ». C’est suite à ces accumulations de choix, d’expériences et de rencontres que le déclic s’est fait. L’artiste a passé le concours de la FEMIS et a commencé à écrire ses premiers films et courts métrages, le menant plus tard sur le chemin du succès. Alors, son premier grand conseil aux jeunes – et qui est revenu régulièrement au cours des échanges – a été le suivant : « Ne vous protégez pas de vos rêves et choisissez de ne pas subir votre vie. »
Les élèves ont vite pris le relai et posé de nombreuses questions. Toujours très pertinentes et nourries d’une certaine curiosité, les interrogations étaient variées, allant des aspects très concrets et pratiques du métier de scénariste ou réalisateur, à des questions plus abstraites, notamment sur ses sources d’inspirations, son rapport à ses œuvres, …
Pour donner suite à cette entrée en matière, un élève a alors demandé s’il existait plusieurs chemins possibles pour mener aux métiers de la création audiovisuelle, ce à quoi l’artiste a répondu : « oui absolument ! ». Il a alors expliqué aux élèves que les parcours possibles sont très différents et vont dépendre de nos désirs, mais aussi de notre manière de fonctionner. Il est possible de faire des écoles après le bac, tout comme plusieurs années après, comme ce fut le cas pour Arnaud Malherbe, voire même de se former « sur le tas ». Il y a des écoles publiques, mais aussi privées. Le destin va également dépendre des rencontres et du réseau que chacun va se créer au cours de ses expériences (stages, assistanat sur des tournages, …). Arnaud Malherbe a décrit cela comme des mécanismes qui se mettent en route, des histoires de vies qui se croisent et un peu de hasard. Néanmoins, l’artiste a insisté sur le fait qu’aujourd’hui, avec les moyens techniques, la création de films est accessible à tous. Un bon téléphone, de bons acteurs…, aujourd’hui, il n’y a pas d’excuse pour ne pas le faire. Le deuxième grand conseil de l’artiste fut alors le suivant : « Si tu veux faire un film, fais-le ».
Plusieurs questions ont également été posées concernant la « stabilité » du métier de scénariste. Et c’est en toute honnêteté que l’artiste a répondu qu’on ne peut jamais vraiment parler de stabilité dans ce métier.
Arnaud Malherbe a alors expliqué aux élèves que le scénariste est lié à son désir certes, mais qu’il dépend également d’une industrie, ainsi que des autres acteurs comme les producteurs, réalisateurs, … Il a raconté que la stabilité vit dans la manière de se battre pour faire vivre ses projets. Concernant le système de rémunération, cela dépend de l’artiste, car cela ne relève pas du système salarial classique : on parle d’intermittence du spectacle pour les réalisateurs, et des droits d’auteur. Arnaud Malherbe a alors expliqué que sa rémunération est différente selon ses casquettes, expliquant ainsi les subtilités de la rémunération en droits d’auteur, et le statut spécifique et mixte du réalisateur qui est un auteur et aussi un salarié intermittent.
Puis est venue la question des regrets et d’une arrivée peut-être trop tardive dans le monde du cinéma. Arnaud Malherbe a répondu avec beaucoup de bienveillance pour les élèves, mais aussi pour lui et son parcours, que oui, parfois il se dit qu’il aurait dû commencer plus tôt. Cela renvoie à une petite frustration d’avoir loupé « l’âge de la créativité de la vingtaine », notamment pour les mises en scène ou l’écriture de scénarios. Mais en même temps, l’artiste n’a pas hésité à rassurer les élèves en leur expliquant qu’au fond, ses œuvres actuelles sont le fruit de sa vie d’avant et de ses expériences de journaliste. Il ne peut pas s’expliquer ou parler de lui sans revenir sur ce que ses nombreuses années de journalisme lui ont apporté, et la manière dont elles ont nourri son amour pour la fiction et ce besoin de raconter des histoires.
Sur la question de l’inspiration, Arnaud Malherbe a dit la phrase suivante : « Personne ne commence sur une page blanche ». L’artiste a alors expliqué que l’inspiration se construit par et grâce à toutes les expériences que l’on a vécues, ce que l’on a vu, écrit, entendu, …
Chaque histoire que l’on imagine est en réalité un morceau de vie et, d’une certaine manière, existe déjà. Elles sont le fruit de ce que nous avons déjà vécu. Ce sur quoi il enchaina avec son rapport à ses œuvres personnelles. « Est-ce que vos films préférés sont vos propres films ? », la réponse du scénariste et réalisateur fut rapide : « non, clairement pas ». Bien qu’il y ait un attachement et une proximité affective avec ses œuvres, il a expliqué qu’il arrive que l’on ressente parfois une gêne, voire un rejet de ce que l’on a pu produire. Ses grandes œuvres favorites sont probablement les premiers grands films de fiction qu’il a vus petit, et qui ont nourri son monde intérieur et son amour pour les histoires.
Enfin, les échanges se sont terminés en beauté sur la question suivante : « Avez-vous un autre rêve ? ». L’artiste a alors pris un moment de réflexion, a rigolé, réfléchi et s’est penché vers les élèves à l’oreille attentive, et curieux de connaitre la réponse : « Mon rêve est d’arrêter de faire des films un jour et partir habiter dans une cabane dans les bois, faire du tir à l’arc et écrire des romans. »
Une rencontre passionnante et profondément humaine et dont les élèves sont sortis enchantés, avec un premier regard éclairé sur le monde du cinéma et la création audiovisuelle.
Presse
Tendance Ouest – 9 février 2024