Anne Moirier_© Diane Hymans
Anne Moirier
Artiste
École Guy Moquet, Garchizy (58)
16 mai 2024
Ayant présenté ma pratique artistique dans de nombreuses écoles en dehors de la région où j’ai grandi, je trouve excitant de pouvoir le faire dans celle où j’ai passé une partie de ma vie.

45 élèves/ CE2 et CM1/ accompagnés par trois institutrices

Cela faisait bien longtemps que l’artiste Anne Moirier n’avait pas remis les pieds dans l’école primaire de son village d’enfance à Garchizy (58). Accueillie par les institutrices ayant préparé la rencontre, l’artiste fut guidée à travers les couloirs qu’elle a autrefois arpentés, puis au sein des salles de classe qui ont ravivé de lointains souvenirs malgré les changements qui ont eu lieu dans l’école depuis qu’elle l’a quittée. Anne Moirier était impatiente, tout comme les élèves, de les rencontrer, et surtout, de mettre en place une activité pas comme les autres …

« C’est quoi une installation en arts plastiques ? » a demandé Anne Moirier aux enfants dans un premier temps. « C’est quand on installe des jeux, des trucs et plein de choses quelque part… » a alors répondu une première élève courageuse. « Et en arts plastiques ? » a insisté l’artiste. Les élèves ont réfléchi mais finalement ils ont donné leur langue au chat.

L’artiste a donc expliqué qu’une installation est une création, à l’échelle d’un lieu, dans laquelle on peut se balader. Elle leur demande alors s’ils en ont déjà vu. C’est avec étonnement que l’assistance a écouté un élève relater une exposition d’art contemporain qu’il avait pu voir quelques temps auparavant, avec “des tables retournées, du sable dans une salle”. Une excellente occasion pour Anne Moirier de rebondir et d’expliquer aux élèves qu’aujourd’hui, ce sont eux qui vont créer et donner vie à une œuvre/installation. L’artiste a d’abord évoqué avec les enfants les consignes de la performance artistique, le matériel utilisé, la temporalité et les délimitations de l’espace dans lequel elle aura eu lieu. Anne Moirier a expliqué aux enfants que leurs outils de travail seraient les vêtements des élèves oubliés dans l’école, et qui se sont empilés depuis des années dans des cartons cachés dans un recoin de l’établissement. 

 

La démarche est donc dans un premier temps d’utiliser de la « récup’ » afin de réaliser l’installation. L’artiste a ensuite divisé les élèves en quatre groupes de dix, et chaque groupe a ainsi été placé en charge d’une zone de l’esplanade – zone de l’installation définie devant l’école primaire – elle-même divisée en quatre (une zone par groupe). Au centre de cet espace se trouvait une pile de vêtements. Chaque groupe, avec à sa tête deux chefs de groupe, avait une couleur de vêtements définie. Ainsi, le groupe 1 s’occupait uniquement des vêtements noirs, le groupe 2 des vêtements gris et blancs, le groupe 3 des vêtements bleus et le groupe 4 des vêtements de toutes les autres couleurs. Les élèves devaient venir chercher les vêtements au centre – de la couleur attitrée à leur groupe – pour les étaler à plat et recouvrir leur espace. « Il faut colorier la place avec les vêtements » a indiqué Anne Moirier.

 

Une fois les consignes partagées et intégrées, l’atelier en extérieur a pu avoir lieu. C’est dans une effervescence notable et un réel intérêt des élèves que l’atelier s’est déroulé sous les yeux admiratifs des institutrices. Les élèves se relayaient tour à tour entre la recherche des habits et l’étalement de ces derniers sur leurs espaces attitrés, afin de colorer l’esplanade. Bouger, changer, déplacer, retourner, les enfants n’ont pas manqué d’inventivité pour donner lieu à une installation étonnante : une esplanade couverte de vêtements aux couleurs bien triées et organisées. Quarante minutes après le lancement des consignes, le jeune public avait terminé l’installation et a ainsi pu contempler le résultat de “son” œuvre.

Après cette grande parenthèse artistique et comme le veut le concept même d’une installation, les élèves ont désinstallé et rangé tous les vêtements pour laisser cette fois la place à Anne Moirier. 

La quarantaine d’élèves s’est ensuite réunie dans la salle polyvalente afin d’échanger avec l’artiste et lui poser toutes leurs questions concernant son métier, son quotidien et ses œuvres vues précédemment en classe.

« À quel âge avez-vous commencé l’art ? » a demandé le premier enfant. Anne Moirier, avec une petite pointe d’humour, leur a expliqué que selon elle, elle a débuté sa carrière artistique en maternelle. Elle a raconté avoir toujours adoré l’art et tout ce qui était manuel. L’artiste a également dit que très vite, elle ne s’était pas sentie à sa place sur les bancs de l’école, l’art plastique étant l’unique matière qu’elle appréciait à l’école. Elle en a profité pour répondre à la question de l’âge auquel elle est devenue « artiste ». Outre le fait que son amour pour les arts plastiques n’est pas tout jeune, elle est artiste au sens juridique du terme – le statut qui permet d’acter qu’une personne travaille en tant qu’artiste – depuis 2008, soit une quinzaine d’années.

Un élève s’est également demandé pourquoi Anne Moirier était devenue artiste. Comme elle l’expliquait précédemment, l’art plastique était l’unique matière qui la stimulait à l’école. Puis un jour, lorsqu’elle a découvert que l’on pouvait en vivre, elle a décidé d’en faire un métier et s’est lancée dans des études pour devenir artiste. Anne Moirier est revenue sur le fait que le métier d’artiste peut s’apprendre de plein de manières différentes. Concernant son propre parcours, elle a raconté aux enfants avoir suivi l’école des Beaux-Arts à Bourges, non loin de son village d’enfance dans la Nièvre, Garchizy. C’est aux Beaux-Arts qu’elle a travaillé la théorie ainsi que les différentes techniques telles que la peinture, la vidéo, le dessin, etc. Mais surtout, a insisté l’artiste plasticienne, c’est le travail et l’expérience qui paient. « On devient artiste en s’entraînant. ».

Concernant la question de l’inspiration, Anne Moirier a partagé quelques conseils et expériences aux élèves. Par exemple, pour créer, elle aime se balader dans des lieux divers, rencontrer des personnes, découvrir des objets qui vont être le début de l’idéation et à partir desquels l’artiste va faire ses performances et donner vie à des installations, comme ce fut le cas avec les vêtements perdus à l’école. Elle a aussi avoué aux enfants qu’il arrive qu’elle n’ait pas d’idée et soit moins inspirée. Elle leur a alors donné un conseil très simple à appliquer et très efficace. Dans ces moments-là, l’artiste a conseillé aux élèves de faire une sieste, de faire autre chose pour aérer l’esprit. En effet, elle a expliqué qu’une idée est l’association de deux choses différentes et le repos permet de faire émerger ces choses à la racine des idées.

« Est-ce que l’art t’inspire ? ». Cette question, digne d’un sujet de bac de philosophie, a laissé place à un moment de suspension, durant lequel Anne Moirier a réfléchi avant de répondre « Grave !! » L’artiste a expliqué que lorsque nous aimons quelque chose, cela nous nourrit forcément dans notre approche et notre pratique de l’art. Elle a conclu par la phrase suivante : « Oui, l’art m’inspire. »

Après un échange dense, l’artiste a souhaité faire un point avec les élèves sur leur ressenti. Les réponses étaient riches et variées et ont témoigné de l’importance cruciale d’avoir des modèles de parcours de vie, qui sortent un peu de la norme, et auxquels les élèves peuvent dans une certaine mesure s’identifier, notamment dans les univers artistiques. « Moi j’ai bien aimé quand on a trié les vêtements par couleur car j’avais jamais fait ça et ça m’a plu », a commenté un premier élève. « Moi j’ai bien aimé parce qu’il y avait plein de couleurs et plein de vêtements et à la fin ça faisait comme des rangées avec plein de couleurs toutes triées », a rétorqué un deuxième. « Moi j’ai bien aimé que d’un côté il y ait des couleurs foncées et de l’autre côté des couleurs claires », a précisé un troisième.

Enfin, la rencontre s’est achevée sur cette belle réflexion d’une élève, qui a parfaitement résumé cette après-midi d’exception : « Finalement, c’est nous les artistes. ». Une rencontre liant échange et pratique artistique qui a enthousiasmé l’artiste autant que les élèves et apprentis artistes… 

 

Presse

Le Journal du centre – 30 mai 2024